10 février 2015
Trondheim, Norvège, 9 février 2015 – Après Bâle au cœur de l’Europe, lieu de convergence entre la France, la Suisse et l’Allemagne, Sa Sainteté le Dalaï Lama s’est envolé ce matin vers le Nord pour rejoindre une ville bordant le continent. Trondheim, la première capitale de la Norvège il y a plus d’un millénaire, est le lieu d’une autre forme de convergence. Située sur la rive sud du Trondheimfjord à l’embouchure du fleuve Nidelva, Trondheim accueille depuis 1990 le plus grand Festival international des étudiants au monde. L’ISFiT se veut un lieu de rencontre pour la discussion et le débat, un endroit où des idées naissent, des amitiés se nouent et.où l’on apprend beaucoup. Il a lieu tous les deux ans.

Sa Sainteté le Dalaï Lama rencontre Aayat Algormozi, la lauréate du Prix étudiant pour la paix décerné par l’ISFiT, à Trondheim, (Norvège) le 9 février 2015. Photo/foto.samfundet.no |
Des représentants de l’ambassade de l’Inde et des étudiants de l’ISFiT ont accueilli Sa Sainteté à l’aéroport de Trondheim et l’ont escorté jusqu’à son hôtel à proximité du Clarion Conference Centre. De la salle à manger où était organisé le déjeuner avec un groupe d’étudiants, une vue panoramique s’étendait sur une mer démontée. Avant de se joindre aux discussions, Sa Sainteté a été présenté à la dernière lauréate du Prix étudiant pour la paix, Aayat Alqormozi, récompensée pour sa lutte inébranlable en faveur de la démocratie et des droits de l’homme à Bahreïn.
À son entrée dans la salle de conférence, il a été chaleureusement accueilli par les 1800 étudiants, dont 500 étrangers, venus l’écouter. Dans son discours de présentation, Marius Jones, président de l’ISFiT, a défini le festival comme étant un rassemblement d’étudiants du monde entier capables de changer l’avenir et de créer un monde meilleur. Le thème de cette année est la corruption.
Sa Sainteté avait déjà participé à l’ISFiT en 1994. Invité par le modérateur, Fredrik Græsvik, à faire quelques remarques pour ouvrir la session, il a salué l’assistance :
« Bon après-midi, mes frères et mes sœurs. C’est un grand honneur pour moi de vous rencontrer pour échanger sur nos différentes expériences. En tant que jeunes, vous avez un long avenir devant vous, tandis qu’à presque 80 ans, je suppose que je suis celui ayant de l’expérience. Le temps passe. Il ne s’arrête jamais. Le passé est révolu et nous ne pouvons pas le changer, mais nous pouvons toutefois en tirer des leçons. Nous ne sommes encore qu’au début du XXIe siècle : il est peut-être possible, avant son terme, de créer un monde meilleur et plus heureux. »
Sa Sainteté décrivit le XXe siècle comme une période de développement spectaculaire, mais également une ère de violence et de bains de sang. S’il un monde meilleur en avait résulté, ce sang versé aurait peut-être été justifié, mais ce ne fut pas le cas. Il dénonça la corruption comme étant également une forme de violence et rappelé que même la religion est utilisée par certains hommes corrompus pour exploiter les autres. Il indiqua avec clarté que la distinction entre la violence et la non-violence tient davantage à la motivation qui sous-tend une action qu’à sa nature même. Les actions motivées par la colère et l’appât du gain ont tendance à être violentes, tandis que celles motivées par la compassion et l’intérêt pour les autres s’inscrivent en général dans la non-violence. Il a indiqué que le simple fait de prier pour la paix ne suffira pas, nous devons prendre des mesures pour remédier à la violence et à la corruption qui interfèrent avec la paix.
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Sa Sainteté le Dalaï Lama s’exprimant au Festival international des étudiants (ISFiT) à Trondheim, (Norvège) le 9 février 2015. Photo/foto.samfundet.no |
« Ceux d’entre nous qui ont plus de 30 ans et qui appartiennent au XXe siècle ont créé de nombreux problèmes, qu’il revient malheureusement à vous, la jeune génération, de résoudre. Vous avez la responsabilité et la possibilité de créer un monde meilleur. Vous devrez adopter une démarche plus globale, sans restreindre vos objectifs aux intérêts de votre communauté ou votre pays, mais en tenant compte des besoins de tous les êtres humains. Cela nécessitera une forte volonté, une vision et de la détermination. Il vous faudra donc avoir un sens très fort que l’humanité entière ne forme qu’une seule et même famille. »
« Je suis ici au titre de simple être humain. Nous sommes tous identiques au niveau physique, mental et émotionnel, mais nous avons plutôt tendance à nous pencher sur les différences mineures qui nous distinguent. Si l’ensemble des 7 millions d’êtres humains nourrissaient ce sentiment de l’unité du genre humain, les conflits n’auraient plus aucune raison d’être. Nous devons plutôt nous attacher à créer des liens d’amitié les uns avec les autres. Vous les jeunes avez de grandes possibilités : vous avez le potentiel pour faire cela. »
Sa Sainteté a suggéré que notre système moderne d’éducation a tendance à poursuivre des objectifs matérialistes qui ne tiennent pas compte de notre expérience mentale. Les objets matériels n’apportent pas l’amour et l’affection dont nous avons besoin. Si vous vous sentez mal, une bague en diamant est incapable de vous donner de l’affection, même pas de la manière dont un chat ou un chien peut le faire. S’attacher uniquement aux objets matériels signifie négliger le sens des valeurs morales.
Le modérateur, Fredrik Græsvik, a demandé, « Vous avez décrit la corruption comme étant une forme de violence, pouvez-vous nous en dire plus ? »
Sa Sainteté a répondu que l’Inde, sa seconde patrie depuis presque 56 ans, souffre d’une corruption endémique. C’est une forme de violence dans la mesure où elle viole les droits des gens ordinaires. Il a indiqué que la Chine aussi souffre d’une grande corruption. La différence est que l’Inde est un état de droit, disposant d’une justice indépendante et de la liberté de la presse. En Chine, il n’y a ni liberté d’expression, ni liberté de la presse, ni état de droit. On estime qu’à cause de la corruption, à peine la moitié des fonds affectés sont utilisés pour les projets prévus.
Quelques-uns des plus de 1800 étudiants participant au Festival international des étudiants de Trondheim (ISFiT) en train d’écouter Sa Sainteté le Dalaï Lama parler à Trondheim (Norvège) le 9 février 2015. Photo/foto.samfundet.no |
« Mes amis indiens m’assurent que s’il y avait moins de corruption, le développement de l’Inde aurait été bien plus rapide. »
Sa Sainteté a remarqué qu’il semble y avoir peu de corruption en Norvège, mais que lorsqu’il a demandé aux gens dans d’autres pays d’indiquer avec leurs mains l’ampleur de la corruption, ils les ont largement écartées pour en refléter l’étendue. Il a ajouté qu’il semble en être de même pour l’écart entre riches et pauvres.
« Si les gens avaient un respect sincère pour les valeurs morales et les principes moraux, la corruption n’existerait pas. Tuer, voler ou violer, serait impensable si les gens éprouvaient un vrai respect mutuel. Nous avons besoin de principes moraux dans tous les domaines de l’activité humaine, y compris dans nos traditions religieuses. Nous avons besoin d’une approche de l’éducation qui favorise l’émergence de valeurs morales chez les élèves, de la maternelle à l’université. Cela produira des êtres aux perspectives différentes. L’Institut Mind and Life, qui rassemble des scientifiques et des penseurs, et avec lequel je collabore depuis presque 30 ans, travaille actuellement sur un programme intitulé « Call to Care » (littéralement, « Appel à prêter attention »). Ils ont également organisé des ateliers visant à former les gens à un mode de pensée plus empreint de compassion, tout en surveillant leurs réactions. Ils ont observé qu’il en découlait une amélioration de leur bien-être, aussi bien physique que mental. »
Sa Sainteté a suggéré que de tels développement doivent reposer non seulement sur les recherches scientifiques mais aussi sur le bon sens et nos expériences communes. Il a souligné que les mères nous naissons tous de mères et que nos parents nous élèvent dans l’affection.
Interrogé sur le fait que la corruption puisse ou non être combattue par la force, Sa Sainteté a évoqué la nécessité que les médias soient suffisamment curieux pour dénicher la corruption publique ou cachée. Si la corruption est dénoncée, il est possible de demander aux responsables de rendre des comptes. En quoi la corruption est-elle néfaste ? Sa Sainteté explique qu’elle détruit la confiance. Pour la combattre, il convient d’agir au cas par cas selon les circonstances.
Quelqu’un a demandé quel était le rôle de la religion dans tout cela et Sa Sainteté a répondu que toutes les grandes religions transmettent le même message d’amour et recommandent pour cela de pratiquer le pardon, la tolérance et l’auto-discipline. Des différences philosophiques peuvent exister, mais leur objectif à toutes est similaire. Concernant l’existence d’une seule vérité et d’une seule vraie religion, Sa Sainteté a expliqué que cela pouvait s’entendre au niveau de la pratique individuelle mais qu’au niveau global de la communauté, il est indéniable qu’il existe plusieurs vérités et plusieurs vraies religions. L’important est, comme le montre l’exemple indien, que toutes les religions cohabitent harmonieusement les unes avec les autres.
Revenant à la question de corruption, Sa Sainteté a ajouté :
« La corruption consiste essentiellement à être malhonnête, c’est pourquoi leurs auteurs cachent ces pratiques. Personne n’est fier de la corruption. À l’inverse, l’honnêteté, la transparence et l’ouverture d’esprit apportent la sérénité. »
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Sa Sainteté le Dalaï Lama répondant aux questions au Festival international des étudiants de Trondheim (ISFiT) en Norvège, le 9 février 2015. Photo/foto.samfundet.no |
Interrogé sur le rôle de la religion dans la gouvernance, Sa Sainteté a répondu qu’elle a pu jouer un rôle par le passé, mais que ce n’est plus le cas à l’époque moderne. Il estime que la religion relève d’un intérêt personnel et intime, tandis que la gouvernance concerne la communauté dans son ensemble. Lorsqu’une étudiante lui a demandé comment être heureuse, Sa Sainteté a répondu que le bonheur semble lié à la satisfaction. Il a fait le lien avec les efforts qu’un grand sportif est prêt à fournir pour réussir. Mener une vie riche de sens est une source de satisfaction. Il a suggéré que lorsque nous nous limitons aux expériences sensorielles pour obtenir la satisfaction, celle-ci reste passagère et superficielle. Il est plus efficace de rechercher une satisfaction associée avec notre esprit et nos expériences mentales. A ce sujet, il a précisé que les scientifiques commencent à étudier la différence entre conscience sensorielle et conscience mentale.
Le modérateur, Fredrik Græsvik, a rappelé que des étudiants venant de plus de 100 pays étaient présents et il a demandé à Sa Sainteté quel conseil il avait à leur donner :
« Soyez attentifs à l’unité du genre humain. Personnellement, je me considère comme un simple être humain parmi les autres. Si je commençais à me percevoir comme quelqu’un de spécial ou différent des autres, cela ne servirait qu’à créer une distance entre nous. Nous devons affronter nos émotions avec intelligence, en cultivant ce qui est positif et en réduisant les négativités. Les problèmes que l’humanité rencontre nous affectent tous, mais si l’humanité est heureuse, nous pouvons tous l’être. »
Madame le Maire de Trondheim, Rita Ottervik, a rejoint la scène pour exprimer sa gratitude à Sa Sainteté. Marius Jones, le président de l’ISFiT, a alors remercié Sa Sainteté pour sa présence et pour ses paroles. Il lui a offert un chapeau en laine que Sa Sainteté a immédiatement mis sur la tête, sous les chaleureux applaudissements du public.
Sa Sainteté partira demain pour Copenhague (Danemark).