Copenhague, Danemark, le 12 février 2015. Un groupe de parlementaires danois représentant les huit partis élus au Parlement étaient au centre de l’attention du premier rendez-vous de Sa Sainteté ce matin.
Sa Sainteté le Dalaï Lama rencontre un groupe de parlementaires Danois à Copenhague au Danemark, le 12 février 2015
Photo Olivier Adam
Il les salua en disant :
“En 1973, comme j’étais sur le point d’entreprendre mon premier voyage en Europe, le correspondant de la BBC, Mark Tully, me demanda pourquoi j’y allais. Je lui ai répondu que malgré ma situation de réfugié je me considérais comme un citoyen du monde. J’ai pris l’engagement de promouvoir les valeurs humaines telles que l’amour et la compassion qui, plus que l’argent ou le pouvoir, sont les vraies sources de la paix de l’esprit. Porter son regard vers l’intérieur amène une force intérieure et une confiance en soi qui nous permettent de travailler d’une façon ouverte, transparente, honnête. ”
Faisant la remarque que tous les frères et sœurs humains veulent vivre une vie heureuse, il taquina les parlementaires en leur disant qu’eux aussi semblaient être des humains ! Comme moine bouddhiste, il est conscient du but commun aux traditions religieuses d’aider et servir l’humanité, raison pour laquelle il cherche à développer l’harmonie entre elles. Il a indiqué au groupe qu’il était maintenant totalement retiré de toute responsabilité politique relative au Tibet.
“J’apprécie votre soutien et votre intérêt pour les droits de l’homme au Tibet et partout dans le monde.”
En ce qui concerne son pays natal, Sa Sainteté a exprimé son inquiétude pour l’équilibre environnemental du plateau tibétain, baptisé “le 3ème pôle” par un écologiste chinois. Les principaux fleuves d’Asie prennent leur source au Tibet, affectant la vie d’un milliard de personnes en aval. Il a exprimé l’espoir que les parlementaires soutiendraient l’idée d’experts évaluant de manière objective la situation écologique actuelle dans cette région. Il s’est également inquiété du bien-être de la culture tibétaine qui, en tant que culture de paix et de compassion, est aussi une chose dont la Chine a besoin. Il a évoqué le souvenir d’une rencontre avec des écrivains et des intellectuels chinois lui disant que les valeurs morales en Chine étaient plus faibles qu’elles ne l’avaient été depuis 5 000 ans. Xi Jiping a récemment mentionné à Delhi et Paris le rôle important que le bouddhisme avait à jouer pour raviver la culture chinoise.
Sa Sainteté le Dalaï Lama avec des membres du parlement Danois, pendant leur rencontre, à Copenhague au Danemark, le 12 février 2015
Photo Olivier Adam
Enfin, a-t-il dit, la Chine et l’Inde, les deux nations les plus peuplées du monde, sont voisines. Tant que la Chine regardera les Tibétains avec suspicion, elle maintiendra un grand nombre de troupes au Tibet. Ces troupes sont une source d’inquiétude pour le côté indien. Normaliser la situation au Tibet a donc un impact sur la paix dans la région.
Interrogé sur ce que peuvent faire le Danemark ou l’Union Européenne pour aider à l’auto-détermination du Tibet, Sa Sainteté a déclaré aux parlementaires que la Chine est de plus en plus importante sur le plan économique et militaire. Il n’est pas constructif de la tenir à l’écart mais il convient plutôt d’aller vers elle, de nouer des liens d’amitié, de vaincre ses suspicions. Et cela est vrai pour la Russie également, a-t-il souligné. Il a redit que la censure était une erreur, que le système judiciaire chinois a besoin de s’aligner sur les standards internationaux parce qu’à l’heure actuelle personne ne représente les petits paysans.
Quand l’un des membres du groupe a indiqué qu’il y avait un paradoxe à leur conseiller de réduire les soupçons chinois alors même que leur rencontre avec Sa Sainteté suffisait à les raviver, il leur a répondu :
“Vous pouvez dire que nous avons discuté de l’environnement, que nous ne cherchons pas l’indépendance, que nous voulons pour les Tibétains les droits qui leur sont déjà prévus par la constitution chinoise. Ne vous inquiétez pas, nous avons des relations avec les Chinois depuis plus de 2 000 ans et je traite avec eux depuis 1950.”
Puis Sa Sainteté retourna au Centre de conférence pour y enseigner. Il salua la foule :
“Bonjour à tous, j’espère que vous avez assez dormi. Aujourd’hui, nous allons parcourir une introduction au bouddhisme et cet après-midi je vous lirai les Huit versets de l’entraînement de l’esprit.
Sa Sainteté le Dalaï Lama s’exprimant au cours de ses enseignements au Centre de conférence Bella, à Copenhague au Danemark, le 12 février 2015.
Photo Olivier Adam
Enseignant essentiellement en anglais, Sa Sainteté a déclaré que le message commun de toutes les traditions religieuses était l’amour, la compassion, la tolérance et l’autodiscipline malgré leurs vues philosophiques différentes. En réponse à la question “Qu’est-ce que le Dharma ? Quel est son but ?” il a déclaré que c’était ce qui nous sauve et nous protège de la souffrance. Cela s’applique aux samkhyas, aux jaïns et aux bouddhistes qui n’ont pas de croyance en un créateur et aussi aux zoroastriens, aux hindous, aux chrétiens et aux musulmans qui ont cette croyance. Ces traditions ont des positions philosophiques différentes parce que les gens ont des dispositions différentes. Elles proposent différentes façons de renforcer et approcher la pratique de l’amour.
Sa Sainteté a mentionné que l’une des façons qu’il avait d’exprimer son respect pour ces traditions religieuses est, chaque fois que c’est possible, de visiter leurs lieux sacrés comme un pèlerin. Dans cet esprit, il a visité Lourdes, Jérusalem et Fatima.
Il ne perd pas de vue non plus le milliard de personnes qui déclarent n’avoir pas de foi, de croyance ou d’intérêt pour la religion. Pour lui, ils sont des êtres humains qui souhaitent aussi être heureux et qui ont à ce titre besoin d’être informés sur les valeurs intérieures telles que l’amour et la compassion. S’appuyant sur la tradition indienne, il suggère que soit intégrés à l’éducation les principes d’une éthique séculière basée sur le bon sens, l’expérience commune et les découvertes scientifiques.
Membres du public écoutant Sa Sainteté le Dalaï Lama pendant l’enseignement au Centre de conférence Bella, à Copenhague au Danemark, le 12 février 2015.
Photo Olivier Adam
Revenant aux origines du bouddhisme tibétain, Sa Sainteté a rappelé que le puissant empereur tibétain Songtsèn Gampo avait épousé une princesse népalaise et une princesse chinoise. En venant au Tibet, toutes deux ont amené des statues du bouddha, qui firent surgir l’intérêt pour le bouddhisme. Plus tard, l’empereur Trisong Deutsèn, invita un érudit de haut niveau de l’Université indienne de Nalanda à venir au Tibet pour enseigner. Malgré son âge avancé, Shantarakshita accepta. Il vint et enseigna la logique, la philosophie et la discipline monastique.
Sa Sainteté a exposé que la structure essentielle de l’enseignement du Bouddha se trouve dans les instructions sur les Quatre nobles vérités et les 37 auxiliaires de l’éveil, qui sont communs à la tradition palie et sanskrite. Les 37 auxiliaires de l’éveil comprennent les 4 fixations de l’esprit, les 4 efforts parfaits, les 4 fondements des pouvoirs surnaturels, les 5 facultés, les 5 forces et l’octuple noble sentier. Il a développé ensuite une explication des Quatre nobles vérités et de leurs 16 attributs.
A propos des Quatre vérités, à savoir la souffrance, l’origine, la cessation et le chemin, le Bouddha a donné les instructions suivantes : connaître la souffrance, vaincre son origine, parvenir à la cessation, cultiver le sentier. Dans ce contexte, les 4 caractéristiques, ou attributs, de la souffrance sont l’impermanence, la souffrance proprement dite, la vacuité et l’absence de soi. Les 4 caractéristiques de l’origine de la souffrance sont les causes, l’origine, la forte production et la condition. Les 4 caractéristiques qui se réfèrent à la cessation sont la cessation, la pacification, l’excellence et la sortie définitive tandis que les 4 caractéristiques qui se réfèrent au sentier sont le sentier, la connaissance, l’accomplissement et la délivrance. L’étude de ces caractéristiques contribue à la sagesse, ce qui s’oppose au fait que l’ignorance est à la source de ce corps que nous avons maintenant.
Correspondant à la sagesse, se trouve l’altruisme à propos duquel Shantidéva donne ce conseil :
Quelle que soit la joie présente en ce monde
Elle vient toute du souhait du bonheur d’autrui.
Quelle que soit la souffrance présente en ce monde
Elle vient toute du désir de mon propre bonheur.
Sa Sainteté a mentionné que l’auteur des Huit versets de l’entraînement de l’esprit, Guéshé Langri Thangpa, était un disciple du guéshé kadampa, Potowa, et vécut de 1054 à 1123. Il dit qu’il a mémorisé ces versets quand il était jeune et qu’il les récite et les médite chaque jour.
Le premier verset montre que toutes les bonnes choses que nous accomplissons, une renaissance supérieure, la libération ou l’éveil, viennent en dépendance des autres. Le deuxième nous conseille de considérer les autres comme supérieurs à nous. Sa Sainteté a donné l’exemple de nous comparer à un insecte. Il est peut-être petit, et nous avons certes un cerveau plus gros mais nous pouvons utiliser notre cerveau à des fins très destructrices, ce que l’insecte ne fera jamais. Et cela nous rend inférieurs à eux. La haine, la colère et autres émotions destructrices apparaissent sur la base de notre égocentrisme.
Vue de la scène au Centre de conférence Bella, lieu des enseginements de Sa Sainteté le Dalaï Lama à Copenhague, au Danemark, le 12 février 2015.
Photo Olivier Adam
Le 3ème démontre que l’égoïsme est néfaste alors que l’altruisme est mutuellement bénéfique. Pourtant, dans notre vie quotidienne, nous avons une forte familiarisation à l’influence des émotions destructrices. Nous devons nous y attaquer de telle sorte que lorsque la colère est sur le point de surgir, nous soyons attentifs et que nous puissions l’arrêter. Le 4ème verset conseille de nous considérer comme le plus bas d’entre tous mais cela ne veut pas dire que nous devons nous démoraliser. Pour combattre l’égocentrisme, nous avons besoin de courage et de confiance. Cela signifie que nous ne devrions jamais regarder de haut des gens comme les criminels, les lépreux ou les malades du sida.
Les versets 5 et 6 nous disent que lorsque quelqu’un nous critique nous devons garder notre compassion pour lui. Nous acceptons d’endosser toute la faute qui lui revient et nous lui donnons la victoire. De la même façon, quand ceux que nous avons aidés se retournent contre nous, nous devons leur être reconnaissants de nous enseigner la patience et la compassion. Le 7ème verset résume la méthode pour offrir aux autres joie et bienfaits. Le verset 8, relatif à la sagesse, indique que, même si les choses semblent exister de façon indépendante, en réalité il n’en est rien. Quand nous réaliserons cela, nous les verrons comme un mirage ou une illusion. À ce sujet, Sa Sainteté a fait observer que quand les gens lui demandent par où commencer pour comprendre la vacuité, il leur recommande d’étudier la physique quantique.
Sa Sainteté a recommandé à ceux qui étaient intéressés par ce qu’il venait d’enseigner de lire les ouvrages d’autres grands maîtres bouddhistes indiens.
Lisez-les encore et encore. Lisez-les et réfléchissez à ce que vous avez lu. Si la tradition de Nalanda vous intéresse, étudiez régulièrement et le changement surviendra. Étudiez et réfléchissez, mais ne vous fixez pas d’objectifs irréalistes. Bonne nuit.”
Les traducteurs du danois et de l’anglais, au travail pendant l’enseignement de Sa Sainteté le Dalaï Lama, à Copenhague au Danemark, le 12 février 2015.
Photo Olivier Adam
Au nom des divers organisateurs, Lakha Lama Rinpoché a remercié Sa Sainteté de sa venue et de son enseignement. Il a remercié les traducteurs pour avoir scrupuleusement rendu l’enseignement en danois et en anglais et il a remercié tous les bénévoles dont le travail a permis l’organisation de cet événement. La salle s’est remplie d’applaudissements chaleureux et respectueux.
Demain, Sa Sainteté retournera en Inde.