New-York, NY, le 2 novembre 2014
Ce matin, tandis que Sa Sainteté roulait le long de la Hudson River vers le Manhattan Center, des vents glacés soufflaient sous un ciel gris acier de début d’hiver. La Danang Foundation, dirigée par le lama karma kagyou, Tséwang Tashi Rinpoché, avait invité Sa Sainteté à venir enseigner le texte de Nagarjuna « Commentaire sur l’esprit d’éveil » et à conférer l’initiation de Avalokiteshvara à mille bras. Sur les 1.100 personnes présentes, 800 étaient d’origine chinoise, certains venant de Chine métropolitaine, et d’autres de Hong-Kong, Taiwan, Singapour, Malaisie et d’Amérique du Nord. Le reste de l’assistance était composé de Tibétains, de Mongols et d’Américains.
Sa Sainteté était arrivé très tôt, dans une salle encore vide, pour accomplir les rituels préparatoires à l’initiation. A l’heure prévue, il prit place sur le trône d’enseignement devant de grandes thangkas du Bouddha Shakyamouni et de Nagarjuna, entouré de vénérables moines et moniales des traditions chinoise et tibétaine. Parlant tibétain avec une traduction en mandarin, Sa Sainteté expliqua qu’ils allaient commencer avec la récitation du Soutra du cœur en chinois, suivie de versets d’hommage au Bouddha et du mantra du Soutra du cœur.
« Dans ce monde, de manière générale, les êtres humains ont le droit d’obtenir le bonheur et d’éviter la souffrance, commença Sa Sainteté. Et, au fil de notre évolution, dans un premier temps en réponse à la peur et au danger, nous avons développé une pensée religieuse fondée sur la foi et l’espoir. Par la suite, nous avons étoffé ces pensées de concepts philosophiques et conçu des traditions théistes et non-théistes. Le bouddhisme, de même qu’une branche de la tradition samkhya et aussi le jaïnisme, fait partie des traditions non-théistes. Cependant, c’est la seule tradition qui enseigne une théorie du non-soi. »
Sa Sainteté expliqua que le premier enseignement du Bouddha, la première mise en mouvement de la roue du Dharma, fut une explication des Quatre nobles vérités. Cette instruction est commune à toutes les traditions du bouddhisme, aussi bien à la tradition palie qu’à la tradition sanskrite. Les Quatre nobles vérités, avec leurs 16 attributs et les 37 auxiliaires de l’éveil, sont le socle de tous les enseignements ultérieurs du Bouddha. Cet enseignement a été donné dans la langue vernaculaire indienne de l’époque, pour être ensuite écrit, dans un premier temps, en pali.
Le Soutra qui révèle la pensée décrit trois mises en mouvement de la roue du Dharma, parmi lesquelles la seconde comprend les enseignements de la Perfection de la sagesse. Le Soutra qui révèle la pensée est populaire en Chine, il en existe un commentaire en chinois. En conséquence, certaines traditions chinoises penchent vers l’école de pensée de l’Esprit-Seul. Le bouddhisme ayant atteint la Chine dès les 3e et 4e siècles après JC, les Chinois sont vus par Sa Sainteté comme des disciples plus anciens. Les premiers contacts entre les Tibétains et le bouddhisme remontent au 7e siècle, et le bouddhisme s’y établit au siècle suivant. Cela fut principalement l’œuvre de Shantarakshita, maître bouddhiste réputé de l’université de Nalanda. C’était un bikkshou, un moine pleinement ordonné, un détenteur éminent du vinaya, un penseur, un tenant de l’école Madhyamaka, l’école suivie par Sa Sainteté, et un logicien.
Les maîtres bouddhistes successeurs de Nagarjuna du 2e siècle, tels que Aryadéva, Bhavavivéka, Chandrakirti et Shantidéva ont systématiquement, dans leurs écrits philosophiques, examiné, commenté et critiqué les autres écoles de pensée indiennes. Shantarakshita, qui était un tenant des traditions de logique et d’épistomologie venant de Dignaga et Dharmakirti, suivit leur exemple. Cette approche consistant à se confronter avec d’autres écoles de pensée est ce qui a aidé le bouddhisme à se développer. Seul le bouddhisme tibétain traite de logique et d’épistémologie, très peu présentes dans les traditions palie et chinoise.
« Parmi les activités du corps, de la parole et de l’esprit du Bouddha, poursuivit Sa Sainteté, les plus importantes sont ses enseignements, ses activités de la parole. Je dis souvent en plaisantant que, même si c’est une très bonne chose de construire des temples et des statues pour exprimer notre respect pour le Bouddha, ces représentations ne parleront jamais. D’un autre côté, le canon tibétain possède 100 volumes contenant les enseignements du Bouddha et il en est de même pour le canon chinois. Nous devrions traduire et échanger des textes entre nos traditions et les étudier, dit-il.
« Je ne sais pas grand-chose, mais je peux essayer d’expliquer ce qui selon moi est le plus important dans les enseignements du Bouddha. Selon un modèle d’explication courant de l’activité éveillée de la parole du Bouddha, on la répartit en méthode et de sagesse. La méthode inclut la lignée des vastes activités présentée par Maitréya, tandis que la vue profonde exposée par Nagarjuna correspond à la sagesse. Nagarjuna affirmait que tout ce que le Bouddha a enseigné trouve son fondement dans la notion des deux vérités, conventionnelle et ultime. Fondamentalement, les choses n’existent pas de la manière dont elles apparaissent. »
Sa Sainteté fit référence à une prière en chinois qui dit : « Puissé-je éliminer les trois poisons », ce qui fait allusion au combat contre les émotions perturbatrices. La manière la plus efficace de le faire étant de cultiver la sagesse, l’antidote direct à l’ignorance, le vers suivant dit : « Puisse la lumière de la sagesse s’élever en moi ». Puis le troisième vers dit : « Puissent tous les obstacles intérieurs et extérieurs être dispersés » et enfin la prière se termine par : « Puissé-je entrer dans les pratiques des bodhisattvas ».
Se tournant vers le texte, le Commentaire sur l’esprit d’éveil, Sa Sainteté indiqua que certains érudits s’étaient interrogés sur son attribution à Nagarjuna parce qu’aucun de ses disciples ne cite ce texte. D’autres au contraire confirment qu’il en est bien l’auteur. Le texte passe en revue les vues des autres écoles, suivant en cela la Précieuse guirlande des avis au roi. Sa Sainteté dit qu’il en a reçu la transmission orale de Tri Rinpoché, Rizong Rinpoché et précisa qu’il ne semble pas y avoir de tradition exégétique de ce texte. Cependant, il est certain que si Nagarjuna était vivant, il serait heureux de voir Sa Sainteté enseigner ce texte, un peu comme s’il était resté en sommeil et avait été réveillé par Sa Sainteté.
Sa Sainteté lut les 40 premiers versets, s’arrêtant par endroits pour clarifier certains points. Les auditeurs pouvaient suivre la lecture à l’aide d’un livret contenant des versions tibétaine, chinoise et anglaise du texte. Puis, Sa Sainteté déclara que, même si en réalité la nourriture n’a pas plus d’existence intrinsèque que ceux qui la mangent, elle est néanmoins capable de calmer la faim, suggérant ainsi qu’il était temps de faire une pause pour le déjeuner.
L’après-midi, la lecture du texte se poursuivit jusqu’au moment où Sa Sainteté s’arrêta sur le verset 48 comme étant l’illustration parfaite du sens du texte :
C’est pourquoi, médite constamment sur la vacuité :
La base de tous les phénomènes,
Tranquille et pareille à une illusion,
Sans fondement et destructrice de l’existence cyclique.
A la fin, Sa Sainteté exhorta ses auditeurs à lire ce qu’ils venaient d’entendre encore et encore, de le lire lentement tout en réfléchissant à qu’ils lisaient. Au début de l’initiation de Avalokiteshvara, il indiqua que c’est l’esprit subtil qui se transforme en le corps de sagesse d’un bouddha. Il insista sur la nécessité d’une motivation correcte comme préalable à l’initiation. La motivation correcte pour recevoir l’initiation est d’aspirer non pas à la richesse ou à la longévité, mais à l’état de bouddha pour le bien de tous les êtres. Il guida les participants dans une cérémonie de production de l’esprit d’éveil et de prise des vœux de bodhisattva.
Pour conclure, des femmes chinoises, chacune tenant à la main une fleur de lotus illuminée, se rangèrent sur le devant de la scène pour chanter des prières de dédicace et de requêtes pour la longue vie de Sa Sainteté.